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date de publication : février 2005 |
Laotseu — Wang Pi
Le guide de compréhension de la pensée de Laotseu - chapitre 2
道德經
— Maître Lim—
二
章
chap. 2
天 下 皆 知 美 之 為 美
斯 惡 矣
皆 知 善 之 為 善
斯 不 善 矣
故 有 無 相 生
難 易 相 成
長 短 相 形
高 下 相 傾
音 聲 相 和
前 後 相 隨
是 以 聖 人
處 無 為 之 事
行 不 言 之 教
萬 物 作焉 而 不辭
生 而 不 有
為 而 不 恃
功 成 而 弗 居
夫 唯 弗 居
是 以 不 去
天 下 皆 知 美 之 為 美
斯 惡 矣
皆 知 善 之 為 善
斯 不 善 矣
Tout homme sait que le beau est le beau, or c’est le laid. Tout homme sait que le bien est le bien, or ce n’est pas le bien.
(Le mot 惡, le laid, a deux sens : le mal, et ne pas aimer, détester. On peut dire que le mal est ce que l’on n’aime pas, mais pas le jugement d’un mal).
Com. de W.P. : « Le beau est ce dont l’homme s’amuse volontiers, et le laid est ce que l’homme n’aime pas (détester). Le rapport du beau au laid est comme celui de la joie à la colère. Le rapport du bien à ce qui n’est pas le bien est comme celui du juste à l’injustice. La joie et la colère sont originaires de la même racine, et le juste et l’injuste sont mis sous la même porte. Donc, en prenant l’un, il ne faut pas rejeter l’autre unilatéralement. 美者人心之所進樂也。惡者人心之所惡疾也。美惡猶喜怒也。善不善猶是非也。喜怒同根、是非同門。故不可得而偏舉
Opinion de l’auteur : Le mot opposé du beau 美 est le laid 醜. Chez Laotseu, ce mot dernier est remplacé par un autre 惡 (détester). Aimer ou ne pas aimer, c’est la différence entre le beau et le laid. De même, sur la morale il n’y a pas de distinction claire entre le bien et le mal. Ce rapport est remplacé par celui du bien à ce qui n’est pas le bien (善 <-> 非善) (on ne désigne pas carrément le mal). Laotseu n’a pas commencé par dire du bien ; il n’a parlé que du beau. Pour lui, le bien n’est qu’un apanage étendu du beau, c’est-à-dire, le problème du bien est réductible à celui du beau. Puisque le bien n’est pas substantié, rien n’empêche que l’on prend le bien pour le beau. Alors, qu’est-ce que le beau ? Comme ledit ci-dessus, c’est ce qu’on aime ; c’est un état d’âme avant un jugement préconçu. On peut comparer cet état d’âme à la sensation d’un nourrisson.
(cf chap 20
眾 人 熙 熙
如 享 太 牢
如 春 登 臺
我 獨 泊 兮 其 未 兆
沌 沌 兮 如 嬰 兒 之 未 孩
我 愚 人 之 心 也 哉
« …tout le monde est lumineux comme on fait une grande fête joyeuse, comme on monte sur la belvédère au printemps, alors moi seul calme en repos, je ne fais aucun signe, comme un nourrisson qui n’a pas encore souri … Est-ce que je suis en état d’âme d’un idiot ? » )
Com. de W.P. : « Illusionné du beau, tout le monde risque. Egaré dans la convoitise de gloire et de bénéfice, on tien à participer à la concurrence. C’est pour cette raison que l’on porte une figure lumineuse. »
Opinion de l’auteur : A proprement parler, le beau est ce qu’on a envie d’avoir, et le laid est ce qu’on ne veut pas prendre. Un bébé nouveau-né n’a qu’une sensation : plaisir ou déplaisir. S’il a faim, il pleure ; s’il a du mal, il pleure. S’il est à l’aise, il est calme. (cf le Vedana Skandha, agrégat de sensation du Bouddha, et aussi I.D., principe de plaisir de S. Freud). Seule, cette sensation est la critère. Aucune raison pour établir des jugements de valeur éthique. Le mal concernant la conduite humaine n’est pas une substance du mal. C’est tout simplement ce que l’on n’aime pas. Au niveau éthique, le mal n’existe pas ; il n’existe que ce qui n’est pas le bien. Comme le laid se transforme au beau, ce qui n’est pas le bien peut se muer au bien. Ce que Laotseu voulait dire, c’est que la langue dénaturée par les hommes comme une valeur ne représente pas le vrai du tao. Le beau et le laid ne s’opposent pas l’un à l’autre, non plus, le bien et le mal ne s’opposent pas. Ces deux se produisent mutuellement ensemble juste comme l’être et le non-être se font.
故 有 無 相 生
難 易 相 成
長 短 相 形
Donc, l’être et le non-être se produisent l’un à l’autre ; la difficulté et la facilité se font l’un à l’autre ; le long et le court sont comparés l’un à l’autre ;
高 下 相 傾
音 聲 相 和
前 後 相 隨
le haut et le bas se penchent l’un à l’autre ; le son et la voix s’harmonisent l’un à l’autre ; l’avant et l’après se suivent l’un à l’autre.
Com. de W. P. : Ces six sont tous rangés “au naturel” ; il ne faut pas prendre un seul (parce qu’ils sont interdépendants les uns aux autres). C’est pour cela que l’on les a dénombrés.
此六者皆陳自然不可偏舉之名(明)數也
(les quatre mots 皆陳自然 demeurent peu clairs pour l’auteur).
是 以 聖 人
處 無 為 之 事
行 不 言 之 教
Par là, le sage suprême, placé dans les affaires de non-faire, pratique l’enseignement sans parole.
Com. de W. P. : Le naturel suffit ; si on ose faire, on perd. 自然已足為則敗也
萬 物 作焉 而 不辭
生 而 不 有
為 而 不 恃
Toutes les choses grandissent. Le sage les laisse sans parole. Il produit (enfante), mais il ne possède pas. Il fait, mais il n’espère rien. (Cette phrase est très importante (immortelle))
Com. de W. P. : La sagesse se fait d’elle-même, faire (fabriquer, 為) est mensonge (偽) ;
功 成 而 弗 居
夫 唯 弗 居
是 以 不 去
Il accomplit son mérite, mais il n’y reste pas. Or, seulement il n’y reste pas (il ne vit pas de son mérite). Par là, il ne disparaîtra pas.
Com. de W. P. : Le mérite se fait de lui-même, donc le sage n’y reste pas. 功自彼成故不居也
D’ailleurs, si on tente de faire rester un mérite chez soi, il ne durera pas long. 使功在己則功不可久也
Avis de l’auteur : aucun traducteur n’a relevé l’importance de ce chapitre. Isabelle Robinet, sinologue bien réputée, y a fait une interprétation erronée (page 18-19, Laozi) ; elle n’a pas trouvé l’idée directrice du chapitre : négation des valeurs du jugement arbitraire, soit personnel soit social. A l’opposé des deux traducteurs, Duyvendak et Liou Kia Hway, qui ignorent la pensée de Wang Pi, sans doute y a-t-elle bien réfléchi ; mais elle a laissé tomber le commentaire de Wang Pi, ce qui est considéré historiquement comme indispensable pour la compréhension de la pensée de Laotseu.
Elle insiste, « Laozi fait la balance entre les valeurs reçues (le beau, le bien, etc) et leurs opposés (les six ci-dessus) ».
Voici sa traduction :
Elle continue : « Peut-il y avoir un nom pour ce dont tous les noms tirent leur origine ? Peut-on parler de ce qui est au delà du langage ? Ce sont les questions que posent le Dao de jing. Mais aussi : dès qu’il y a un nom, c’est-à-dire une détermination, un point de repère, il se passe la même chose que lorsqu’on trace une ligne ; il apparaît deux parties de part et d’autre de la ligne, la droite et la gauche ou le haut et le bas. Non seulement les mots sont inadéquats, mais les options trop partielles des morales et des systèmes de pensée établis le sont aussi. Ce qui mène le débat plus loin qu’une d’adéquation ou inadéquation du langage. Ceci peut se dire de façon différente : une affirmation implique la possibilité de sa négation, tout avers possède un revers. Ce n’est pas seulement que Laozi s’efforce de mettre en évidence le côté paradoxal de la pensée et du discours humain, ni leur forme fondamentalement binaire ; mais bien aussi qu’il s’attache, selon les cas, soit à conjoindre l’avers et le revers d’une pièce, soit à renverser l’ordre habituel et ordinaire qui affirme, afin de saisir plutôt le fondement sur lequel s’appuie toute affirmation : monter signifie partir d’en bas (chap 39)… »
La citation est trop longue. Certes, il est impossible de dénier la prétention d’Isabelle, parce qu’elle développe une logique purement lexique ; l’idée principale du chapitre s’échappe d’elle. Elle touche les mots-carcasse ; c’est une glissade superficielle sur la surface d’une montagne, parce qu’elle ne peut pas entrevoir l’intérieur.
A la question « Peut-il y avoir un nom pour ce dont tous les noms tirent leur origine ? » L’auteur répond, « aucun nom ». A la question « Peut-on parler de ce qui est au delà du langage ? » Il dit, « quelque chose en confusion ».
Robinet continue, « Le Tao constant n’est pas daoïsable, n’est ni dicible ni praticable. Ceci peut être compris aussi comme une affirmation du caractère invivable et inexploitable, inutile du tao, et donc un avertissement à se tourner vers daos (enseignements, voies, lignes de conduite) qui soient viables, que comme l’appel à un Tao suprême par delà les enseignements dispensés par les diverses écoles de pensée. »
Tout cela ci-dessus est le résumé du point de vue d’Isabelle Robinet sur le Tao, intitulé « Aspect logique, Dialectique des opposés ». Mais très mécanique et sec ! Bien dommage que Isabelle Robinet n’a pas douté que le sens que « le tao ne soit difficilement audible » juste comme de rien n’était, et difficilement exprimable comme la musique commence là où la langue perd son expression. En dépit qu’elle a jeté un coup d’œil sur le commentaire de Wang Pi sur « profondeur de, et profondeur », elle ne l’a pas compris : « Après devenir tel ou tel, il y a plusieurs épithètes : tao, profondeur, obscurité, grand, subtil, loin… ; ils ont leur sens, mais avec eux, on ne peut pas épuiser le mieux. Devenu de plus en plus fin et subtil, on ne peut plus dire que c’est mince ; en plein de merveille microbe (微妙) sans forme, on ne peut plus dire, non plus nommer que c’est grand. Donc, Laotseu dit : « On le surnomme du tao ». On l’appelle Hsien, mais on ne donne pas de nom. Encore avec le nom on perd le sens ; avec l’appellation, on n’épuise jamais le mieux. Donc, on appelle Hsien de, et Hsien. (Enfin, on begaye, bredouille). Le sentiment dépasse la langue »
C’est aussi le cas du Bouddha (Traité de l’âme de celui qui est arrivé à la vérité, Prajna Paramita Fredaya Sutra, ).
Le Yiking dit : La parole n’épuise pas son but. 言不盡意
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