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date de publication : 2 juin 2004 |
Les paroles de l'école de Confucius sur le weichi
Confucius a dit :
“ Toute la journée, on mange, et on est rassasié. On ne trouve rien à réfléchir. Alors, on s'ennuie. N'y a-t-il pas le jeu de weichi ? Il vaut mieux y jouer plutôt que ne pas y jouer ”
(Analectes de Confucius.)
Par ailleurs, dans un entretien avec le roi de son pays Lou Ai Gong
(règne 494-477 av. J.C.), Confucius dit :
“ L'homme de morale ne doit pas jouer au weichi. ”
L'auteur interprète ces paroles de Confucius sur le weichi, apparemment contradictoires :
- pour les philosophes et les mandarins, le weichi est gaspillage de temps ;
- pour les petites têtes , le weichi a une valeur positive, car une petite tête qui joue au weichi n'a pas le temps de faire des sottises.
Cette idée se retrouve dans une tradition orale selon laquelle un très ancien monarque sage, Yao , a fait apprendre le weichi à son fils borné , sans le faire hériter de son trône.
120 ans après Confucius, Mencius , élève fidèle, parle ainsi du weichi :
“ Le weichi est un art petit. Même sur ce petit jeu, si on ne concentre pas l'esprit, on ne fait pas des progrès. ”
Encore :
“ Celui qui joue au weichi, en buvant du vin, sans rien faire pour nourrir ses parents, est un mauvais fils. ”
L'histoire montre que le weichi a bien été propagé par les taoïstes, mais on ne trouve aucune mention sur cet art profond et hermétique de la part des taoïste de grand prestige pendant des siècles avant J.C. C'est au 3ème et 4ème siècles que l'on remarque facilement que le weichi a envahi la vie quotidienne des élites.
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Sept sages de la forêt de bambou
début du 3ème siècle ap. J.C.
Quand il n'y a plus rien à espérer avec l'État, le peuple ne recourt qu'au secours par la religion. C'est bien ce que craignent les confucianistes. Dans ce cas-là, l'authenticité d'un bon remède est inversement proportionnelle à l'augmentation de la population qui croit en une doctrine superstitieuse.
A la fin de la dynastie des Han (- 206 - 220), partout pullulaient des superstitions qui étaient suivies par des soulèvements populaires : Ou Dou Mi Tao , dont les chefs Zhang Ling et Zhang Heng , Tai Ping Tao dont le chef Gan Ji , Bande des turbans jaunes Hwang Jin Zei dont l'origine est une superstition inspirée par un magicien. De plus, à la cour ne cessaient les pagailles entre partisans des mandarins corrompus, eunuques pleins d'ambition politique et famille impériale.
Ainsi, dans ces conditions confuses, commence le drame historique des Trois Royaumes Combattants . Bien que les bandes des turbans jaunes aient été réprimées, la Dynastie des Han a commencé à décliner ainsi que son idéologie politique, le confucianisme sclérosé. Les hommes lettrés ne s'intéressent plus à la politique. Juste à cette période, le bouddhisme allait gagner droit de cité en Chine ; une époque déchaînée du conservatisme.
Fatigués de la guerre interminable, écoeurés par la réalité sociale, les hommes lettrés s'adonnèrent aux banquets : orgies de vin, musique, weichi (jeu de go), discussions métaphysiques, improvisations de poèmes. Leurs chefs de file s'appellent les “ Sept sages de la forêt de bambou ” dans la banlieue de Loyang. Hi Kang (223-262), Wen Chi (210-263), Wen Xiang , Liu Ling , Wang Rong , Chang Tao , Xiang Xiu . C'est le romantisme chinois réellement vécu de grande envergure.
Ce mouvement bouleversant est une raison-clef de l'effondrement de la nouvelle dynastie Jin , qui a succédé à celle des Han. Wang Pi et He Yan ne s'étaient pas engagés dans cet événement insolite, néanmoins au niveau idéologique, la philosophie de Wang Pi l'a soutenu de loin. Un des sept sages a laissé sa harpe suspendue sur un arbre, en prétendant que jouer de la harpe est une langue, par là une différenciation, donc une destruction du parfait. Un autre a couché avec les cochons, et a partagé ses repas avec eux.
Voici un grand poème de Liu Ling, hyper poivrot :
Hommage au vin
“ Il y a un grand maître ; il a fait une matinée de la durée du ciel et de la terre
Pour lui, le temps éternel n'est qu'un moment
Le soleil et la lune ne sont que la fenêtre et le verrou
Les endroits ouverts aux quatre vents sont le jardin et la rue
Là où il passe, il ne laisse aucun vestige
Où qu'il soit, il n'a besoin ni de toit ni de chambre
Le ciel lui sert de tente et la terre est sa natte
Il va partout où bon lui semble
Quand il s'arrête, il prend un grand bol de vin ou un petit
Quand il bouge, il porte un grand tonneau de vin ou une grande jarre
Picoler, picoler, c'est son seul boulot
Sur les autres, que sait-il ?
Il y a des princes, des gros bonnets et des sages ermites
A la rumeur de lui, ils en discutent ; pourquoi ça arrive ?
(Ils sont venus chez lui)
En retroussant leurs manches et en s'ajustant le col,
Le regard farouche, grinçant des dents,
Ils piquent des laïus sur les normes et les étiquettes
Ils le condamnent en vociférant : qu'est-ce que c'est que ça ?
Alors, le grand maître soulève un grand pot et verse quantité de vin dans un bassin
Le bol à la gueule, en se gargarisant de vinasse,
Puis s'essuyant la barbe d'un revers de la main,
Se mettant tout droit, il tend les pieds et appuie ses mains sur ses genoux
Mettant sa tête sur du levain, il s'allonge sur un tas de lie
Il ne pense à rien, il n'a pas de souci (1)
Il se réjouit, tranquille comme dans le silence harmonieux de la mer
S'élevant haut comme un monticule, il s'enivre
En extase, il se dégrise
Calmement il écoute, mais il n'entend rien, même pas la foudre
Il regarde attentivement, mais il ne voit même pas le Taïchan (2)
Il ne sent plus ni froid ni chaleur sur sa peau
Il n'a plus ni sensation ni désir (3)
D'en haut, il contemple tous les êtres en confusion (4)
Ils lui paraissent les herbes flottantes sur le Yang Tsé Kiang et sur le Hang Sui
Deux sortes de notables, aristocrates et gros bonnets assistent drôlement à son côté
Ce sont des espèces de minces abeilles, des libellules rouges ou des vermines des mûriers
Complètement mis à nu, il a bu tout le temps ; Si on lui fait des reproches il réfute : Le ciel et la terre sont mon habitat. La chambre est mon slip. Pourquoi y êtes-vous entrés ? ”
En voyage, il porte son testament célèbre : “ Enterrez-moi n'importe où je meurs ”
Voici quelques lignes de Hi Kang, protagoniste du cercle :
“ Le monde vulgaire ne s'éveille pas
Il est toujours prisonnier des contingences matérielles
L'homme parfait regarde au loin
Je retourne à la nature
La vie est éphémère et flottante
Elle apparaît un instant et s'achève soudain
Les affaires mondaines sont confuses et malsaines
Il vaut mieux les jeter à la poubelle
Même affamé, le faisan des marais ne veut pas revenir dans le parc
La gloire et le déshonneur n'existent pas
L'important est de laisser aller sa volonté
Et de libérer son cœur sans regret ”
“ Les anciens monarques ont reçu la raison du ciel, et ils ont respecté l'enseignement du Yiking, et pratiqué la politique du non-faire. Le monarque est tranquille en haut, et ses sujets le suivent en bas ”
L'auteur de ces phrases a été condamné à mort pour “ dépravation morale de la société ”. Malgré la mort du chef, l'activité du cercle se déchaînait afin que de nombreux aristocrates et politiciens s'y engagent.
Voici un poème de Wen Chi, membre très influent.
“ La lumière et la flamme s'étendent jusqu'à l'infini
Le grand fleuve couvre les torrents et les cataractes
Un grand arc accroché à l'astre de Hou Chang (5),
Et une longue épée penchée au dehors du ciel,
Je pourrai user la grande montagne en poussière,
Et tarir Fleuve Jaune pour le réduire en ceinture
Mais en imaginant la vie de Chang Tseu, je reviens à moi
A quoi bon compter bêtement sur la vicissitude et l'inanité ?
Après ma mort, qu'on me jette sur la lande !
Les corbeaux et les faucons dévoreront mon cadavre (6)
Pour laisser à la postérité un nom impérissable
Comment agirais-je comme un héros qui bouge l'univers ?
Ainsi, il s'en va au loin en dehors du monde
Comme les fleurs fanées, le bonheur se flétrit
Ronces et liserons poussent au palais
Je monte sur le cheval, et je m'en vais
Pour trouver une habitation au pied du Mont de l'Ouest ”
Un autre encore :
“ La nuit, je ne peux pas dormir
Levé et assis, je joue de la harpe
La lune éclaire le voile qui m'enveloppe
Le vent frais souffle mon collet
Toute seule, une cigogne crie dans la plaine
En survolant la forêt du nord, elle chante
En se promenant, qu'est-ce qu'on va voir ?
L'homme solitaire broie de la mélancolie
(Dans la nature sauvage, il flotte un sentiment romantique)
Il dit :
“ En parole correcte, la joie gagne le Yiking. Le cœur est propre, et l'esprit Ki limpide. Si la joie noble arrive partout, tous les êtres sont en harmonie. Si on est simple et tranquille, on écoute ce qui n'est pas indécent. Le Yiking simple contrôle tout l'esprit ; avec tranquillité et dignité, on dirige le cœur du peuple ”
Un jour, il a joué une partie de weichi (jeu de go). A la nouvelle de la mort de sa mère, il ne voulait pas l'arrêter. Son partenaire lui a proposé, mais il n'a pas accepté. Après avoir bu quantité de vin, il a craché du sang. Son père est Wen Ou , un pilier du cercle littéraire Jian An . Autour de lui, il y a eu de nombreux joueurs de weichi, Kong Yong , Wang Tchang , Ying Yang . Chacun a laissé ses propres anecdotes de weichi.
Pendant 60 jours Wen Tchi a été en état d'ébriété exprès ; il n'a pas jugé carrément sur le bien et le mal ; il n'a pas exprimé la colère non plus la joie. C'était sa façon d'éviter les représailles.
Ce romantisme de version chinoise, plein de bruits, débordant le niveau culturel, a conduit le peuple à l'inertie totale, jusqu'à ce qu'ils n'aient eu même cure de l'occupation de la capitale par les barbares étrangers. Sans précédant, dans la mesure où un mouvement philo-culturel se fait un rôle paralysant l'état en convalescence de dévastation par une série de soulèvements paysans.
Dans ce contexte social, pour les hommes lettrés, le weichi a été l'exutoire du cafard, et la philosophie de Wang Pi a été la nouvelle idéologie qui a remplacé le confucianisme traditionnel caduc.
(Dans l'histoire du weichi, l'époque florissante est 3ème-4ème siècles)
(1) Cf chap. 20 du Tao teh King
(2) Grande montagne, Chang Toung
(3) Traité du bouddha
(4) Cf chap 25 du Tao teh King
(5) Grand arbre mythologique haut de milliers de mètres.
(6) Phrase de Tchang Tseu, qui, en mourrant, rejette une proposition de ses élèves sur ses funérailles : “ Il vaut mieux jeter mon cadavre sur la lande. Le ciel, la terre, le soleil, la lune, les étoiles et tous les êtres sont les instruments des funérailles ”. Ses élèves essayent de le persuader inutilement : “ Nous craignons que vous soyez dévoré par les corbeaux, les faucons, les aigles. N'est-ce pas terrible ? ” Le maître répond : “ Sur la terre, les corbeaux et les faucons me dévorent, sous la terre, les fourmis et les insectes carnivores me rongent. Il est donc futile et inutile de m'enlever à ceux-ci pour me donner à ceux-là. Ce n'est pas justice ”.
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